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Il y a quelque chose d’éminemment physique et d’incroyablement délicat dans le travail d’Eva Evrard. Typographe de formation, c’est assurément le travail autour du caractère mécanique — son architecture, l’équilibre entre le vide et le plein, son œil, sa graisse... tous les éléments qui lui confèrent son identité — qui est à l’origine de cette recherche formelle qui depuis s’est étendue à d’autres médiums. Dans ses créations qui ont trait au livre, son travail interroge les limites des conditions matérielles de son avènement. Support de connaissances par excellence de l’Occident, le livre devient un réceptacle blanc dédié au vide ou à la lumière : plus de texte mais des lignes ajourées ou des filtres colorés qui transforment l’ouvrage en une cathédrale contemporaine.
L’artiste, qui se considère bien plus volontiers comme une travailleuse manuelle, détourne ici le support imprimé du journal quotidien à la fois dans sa matérialité (contenant) et dans son immatérialité (contenu). Réinterprétant le format, le papier, les lettres, l’encre, le contraste noir/blanc, elle sélectionne des mots (questions) publié(e)s et les réécrit, lettres minuscules – nanolettres – manuscrites, en les superposant jusqu’à l’illisibilité ou à l’invisibilité. Sa composition minimaliste, tout en relevant de la performance, marie minutie du tracé des mots et vide de la page blanche dans une disproportion vertigineuse.
Sofiane Laghouati
Conservateur - Chargé de Recherche, coresponsable de la Réserve précieuse du Musée royal de Mariemont.